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Le blog de Stéphane Bern par Florine
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7 mars 2007

255] "L'Arène de France : Débats télévisés à voir ?! "

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PRESSE : Télérama du 7 mars 2007

Dégâts télévisés

Invités censurés ou ridiculisés, psychodrames artificiels : “L’arène de France” se transforme souvent en vrai cirque. Sur France 2, Stéphane Bern et sa bande confondraient-ils débats et dégâts ?

Il n’est jamais prudent de glisser un pied dans une arène, fût-elle « de France » et filmée. On en ressort toujours concassé et fourbu. En six mois, l’émission de Stéphane Bern, diffusée chaque mercredi soir sur France 2, a aligné bon nombre de victimes. Parmi lesquelles des invités de marque, dont la production a coiffé le cerveau d’un casque de gladiateur, les contraignant à l’empoignade quand elle leur avait promis un débat. La psychanalyste Amélie Gahete, directrice de crèche et spécialiste de la petite enfance, s’en relève à peine. « J’ai été trompée, censurée, méprisée », dit-elle, d’autant plus en colère que cet exercice télévisuel la rebutait. « Trois journalistes différents m’ont appelée pour me convaincre d’y participer, dont un avec lequel j’ai parlementé au moins deux heures au téléphone, lui expliquant mes réticences en long, en large et en travers. » Elle finit par jeter l’éponge et accepte l’immersion dans la fosse aux lions, sur le thème « Les parents ont-ils démissionné ? », rassurée par la liste des invités. « On m’avait promis qu’il y aurait Philippe Jamet et d’autres psychiatres connus. Quand je suis arrivée sur le plateau, à ma grande surprise, ils n’étaient pas là. Par contre, il y avait Karl Zéro, Caroline Tresca et Hugues Aufray, ce dont on ne m’avait pas prévenue. » La présidente des chiennes de garde, Emmanuelle Messean, a connu la même désillusion, autour de la question « La société est-elle devenue pornographique ? » : « On m’avait cité des invités d’un bon niveau intellectuel, telle la philosophe Michela Marzano (contactée par la production, elle n’a finalement jamais donné suite, NDLR). Or, sur le plateau, sur qui je tombe ? Maïté ! »

Ainsi fonctionne « l’infotainment » ­– l’information matinée de divertissement –, concept en vogue dont cette émission se réclame, en mêlant l’intello au people, le quidam au politique, avec l’ambition de tirer la parole vers le haut alors que la réalité, semaine après semaine, ne cesse de démontrer l’inverse. Au centre de cette arène où les discours se valent, l’économiste Jacques Marseille colloque sur les 35 heures avec Florent Pagny et le coiffeur Franck Provost ; le député Patrick Braouzec défend les sans-papiers contre la skieuse Marielle Goitschel et Kenza (dite « du Loft »). Conséquence immédiate – devenue marque de fabrique : ça piaille, meugle, croasse et tempête. Et fait de l’audience (20 % des parts de marché en moyenne). « L’émission reflète l’état actuel de la discussion publique, où l’information vaut moins que l’affrontement, analyse François Jost, théoricien de l’image et professeur à Paris-III. L’infotainment s’est radicalisé : sous l’apparence de la démocratie, Bern encourage la vulgarité. »

Sur le mélange des gens, le producteur, Jean-Louis Remilleux, se justifie : « J’aime bien le pape et Madonna, Michel Serres et Florent Pagny, je ne vois pas pourquoi on ne les réunirait pas dans une même émission. La plupart des Français pensent comme moi. » Idem sur le mélange des genres : « Il faut sortir la culture et le divertissement de leurs ghettos respectifs. Si une certaine presse, dont Télérama fait partie, continue de se boucher le nez dès qu’on parle de mélange des genres, bientôt il n’y en aura plus qu’un : un journaliste qui présentera le JT en képi ! » L’arène de France comme rempart au totalitarisme ? Fallait oser.

Cette émission, précisément, ose tout. Des caméras cachées où un faux flic (Sébastien Thierry) ridiculise la France profonde. Et un centre d’appel où un pseudo-standardiste (Patrice Thibaud) multiplie les gags, comme se greffer une fausse patte en peluche à la place de la main pour rebondir sur la confession d’un témoin devenu aveugle à la suite d’une erreur médicale. Cette dernière rubrique vient de sombrer aux oubliettes. « Les débats avaient du mal à supporter ces interventions régulières. Soit ça coupait l’invité dans son élan, soit ça tombait à plat », reconnaît Jean-Louis Remilleux après vingt-trois émissions. Pour le reste, le producteur est persuadé de faire un « divertissement intelligent ». « Le public est ravi, les invités, enchantés à la fin de l’enregistrement. Michel Serres en a un très bon sou­venir, demandez-lui. » Nous l’avons pris au mot. Et, d’après son atta­chée de presse, l’académicien aurait confié « avoir perdu son temps ».
Il faut dire que le dispositif ne brosse pas les invités dans le sens du neurone. Des thèmes de société formulés de la façon la plus poujado-réductrice possible. Des exemples ? « Fumeurs, fraudeurs : faut-il les dénoncer ? », « Faut-il donner tous les droits aux homos ? », ou encore « Faut-il enfermer les psys ? » Un public censé voter pour ou contre avec une télécommande. Et des invités divisés en deux camps, comme pour interdire toute position médiane, ce « oui, mais » de la nuance susceptible d’élever les débats. « Dès qu’on argumente, Stéphane Bern nous coupe la parole pour chercher le clash », explique Emmanuelle Messean, des Chiennes de garde. Et si Bern laisse parler, le montage cisaille pour lui. « On m’avait juré que l’émission était enregistrée dans les conditions du direct, raconte la psy Amélie Gahete, qu’il y aurait au pire deux minutes de coupe au montage. » Dans la réalité, c’est dix fois plus, soit vingt minutes de coupes pour chaque débat. Et toujours au profit du spectaculaire. « J’ai fait un développement sur Freud et Dolto, mais cela n’a pas été gardé. Ils n’ont conservé que mon coup de gueule en fin d’émission, ce qui me fait passer pour une hystérique. En plus, Bern ne m’a ni nommée ni présentée. Ma légitimité a été tronquée, ma parole falsifiée. L’émission instrumentalise les spécialistes, s’en sert comme faire-valoir, c’est très humiliant. »

L’attachée de presse d’un éditeur se souvient de l’enregistrement des premières émissions : « On nous avait vendu du Polac, on s’est retrouvés avec du sous-Dechavanne. » Une autre : « En découvrant la teneur du débat, je me suis décomposée. Je pensais à mon auteur sur le plateau et je me disais : le pauvre, où est-ce que je l’ai embarqué ? » Tout le monde n’est pas aussi sévère avec l’émission. Jacques Attali n’a « pas eu à s’en plaindre », Pascal Boniface l’a vécue comme une saine « récréation ».

En six mois, Bern a accueilli quatre ministres en exercice (dont Renaud Dutreil et Gilles de Robien), une vingtaine de députés, dix intellectuels réputés (dont Philippe Sollers et Emmanuel Le Roy Ladurie) et une flopée de médecins. On a aussi pu apercevoir Francis Lalanne et Danielle Mitterrand, Brigitte Lahaie et Charles Pasqua, Daniel Ducruet et Jean-François Khan, K-maro et Philippe Caubère, Shirley et Dino… Si les plateaux se sont un peu détériorés au fil de l’hiver, avec une pléiade de chanteurs has been, de psychothérapeutes douteux, de seconds couteaux d’associations – une émission « Peut-on rire de tout ? » a même été annulée, faute d’invités –, de récents ajustements permettent à nouveau de séduire des personnalités crédibles. Quoi qu’il en soit, « aucun invité ne participe à un débat si sa présence n’est pas justifiée », nous assure la production.

Sauf exceptions, évidemment nombreuses. Viré du plateau juste avant un débat sur les « vieux » à cause d’un contentieux avec l’invité fil rouge (Yann Moix), le touche-à-tout Frédéric Vignale (1) a été invité de nouveau quelques semaines plus tard sur le thème « Paris contre province ». « On m’a demandé quel camp je préférais défendre, dit celui qui navigue entre Metz et la capitale, j’ai finalement choisi Paris. » Dans les coulisses, les assistants le chauffent : « Lâche-toi, attaque, n’hésite pas à couper la parole ! » Ce qu’il fait, au-delà de leurs espérances. « Le seul moyen d’exister, c’est de tenir ton personnage, quitte à surjouer, raconte-t-il. Moi, je m’étais fait une coiffure de petit con pour coller à l’archétype du Parisien arrogant. A la fin de l’enregistrement, les autres invités sont venus me féliciter, m’ont demandé si j’étais comédien. Suite à l’émission, j’ai reçu 524 e-mails et obtenu un papier dans Technikart. »

Pour parfaire la mascarade, des avocats défendent chaque camp avec la subtilité d’un menhir. Castés par la production sur les vidéos d’un concours d’éloquence célèbre dans la profession, ces jeunes loups du barreau de Paris détournent les ­effets de manches au nom du rire (gras). « Cet exercice de style donne une image partielle, et pas forcément la meilleure, de notre métier », admet Caroline Mecary, membre du Con­seil de l’ordre des avocats de Paris. « Ce sont des clowns, des danseurs de claquettes, des caricatures de ce que la profession ne veut plus être, estime quant à lui Vincent Delmas, président du Cosal (syndicat des avocats libres). Ils véhiculent l’image d’avocats mercenaires qui défendraient n’importe quoi avec des arguments fumeux. Nous, on est obligés de passer derrière pour donner le change dans les médias. »

Depuis deux semaines, des ténors du barreau (Gilbert Collard, Georges Kiejman…) se joignent donc aux jeunes rhéteurs pour insuffler du crédit à ces débats en berne. Echaudée par l’indignation générale suscitée par les premières émissions (même le médiateur de la chaîne refuse d’en parler), la direction de France 2 encourage ce type d’ajustements. Résultat, l’indigence du concept s’estompe peu à peu, révélant une émission tout simplement « bas du front » et standardisée. Loin d’une certaine promesse de septembre, quand France 2 fanfaronnait sur la « formidable émission de débat qui manquait au service public » .


(1) Il raconte cet épisode dans Les Censurés de la télé (éditions Le Bord de l’eau).

                                                                                                   

                                                                                                                             Erwan Desplanques


A VOIR
L'arène de France, mercredi, 22h50, France 2

Télérama n° 2982 - 10 Mars 2007

source : www.telerama.fr

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